Pourquoi ? Histoire d’un ange pas si banal.
Luc ferma les yeux,
ébloui par la lumière qui irradiait, comme venue de nulle part. Il
savait qu’il venait de mourir mais ne comprenait pas comment il en
avait conscience. D’autant qu’il ne gardait absolument aucun
souvenir de sa vie mortelle… si ce n’est les bruits et les odeurs
d’une chambre d’hôpital. Même après avoir changé de plan
d’existence son cerveau semblait encore embrumé par les
tranquillisants. Il tenta de se lever en vacillant et entrouvrit les
yeux pour ne voir autour de lui qu’un blanc immaculé à perte de
vue rayonnant d’une lumière mystique. Dans un flash il revit son
corps flottant dans ce long couloir blanc, les yeux fixés sur la
lumière au bout, totalement détaché de toute notion temporelle.
Aucun doute ne subsistait et son âme s’emplit de joie ; il
était au Paradis.
S’accoutumant à la
luminosité il put observer la seule chose visible dans tout ce
vide : son propre corps. Malgré son amnésie il était persuadé
que ce ne pouvait pas être le corps de sa vie mortelle. Il avait le
corps d’un jeune enfant de cinq ans potelé et très pâle. Il
était entièrement nu et dénué de sexe. En portant une main à sa
tête il découvrit une chevelure abondante, légèrement bouclée.
En relevant le regard,
il remarqua des formes se détacher au loin puis se rapprocher pour
enfin prendre une forme que Luc put interpréter être un groupe
d’ange. Quelques secondes plus tard, ou était-ce quelques siècles,
le groupe arriva à sa hauteur. Il était composé de cinq séraphins,
ne différant physiquement de lui en aucun point. Tout comme lui ils
possédaient des corps jeunes au teint pâle et des cheveux blonds
légèrement frisés ; ils possédaient également une paire
d’aile battant dans leur dos et Luc réalisa qu’il n’avait pas
encore vu ses propres ailes. Il tourna son regard derrière lui, sans
résultat ; il tâtonna son dos de la main mais ne put sentir
que sa peau et en dessous ses vertèbres. Il s’étonna de ne pas
posséder d’ailes et se dit qu’elles pousseraient probablement
bientôt. Il reporta son regard vers ses semblables un grand sourire
aux lèvres mais remarqua que ceux-ci avaient abandonné leur masque
de gaieté et le dévisageaient avec étonnement. Tout heureux
d’avoir des interlocuteurs, Luc prononça ses premiers mots dans
une langue dont il ignorait tout jusque-là mais qui lui parut
naturelle :
— Bonjour, je
viens d’arriver, du moins c’est l’impression que j’ai, et
vous êtes les premiers autres anges que je rencontre.
Ses interlocuteurs ne
lui répondirent pas et s’observèrent avant de commencer à
discuter entre eux à voix basses. Luc tendit l’oreille pour
essayer d’obtenir des bribes de conversation sans pour autant avoir
l’air indiscret :
— […] pas
possible qu’il nous accompagne à Eden […]
— […]
probablement des pêchers à expier […]
— […]
Impossible, pourquoi ne pas accepter des mortels dans ce cas […]
— […] l’Eden
doit rester pur […]
Et le groupe de
séraphins s’en retourna d’où il venait sans un regard pour Luc.
Il essaya de les rattraper mais ses jambes encore frêles ne lui
permettaient pas de garder la vitesse des êtres ailés. Il les
interpella, espérant se justifier, proclamant que ce n’était
qu’une regrettable erreur, mais n’obtenu aucune réaction. Il se
résigna finalement au fait qu’il serait probablement à jamais
seul, incapable de trouver le chemin d’Eden.
Il marcha tout droit,
toujours tout droit, et, à force de réflexion, il savait qu’il
était omniscient et possédait les réponses à toutes les questions
sur l’univers et la vie. Et il réalisa alors avec désarroi qu’il
lui restait l’éternité pour chercher à répondre à la seule
question dont il ignorait la réponse : Pourquoi cela m’est-il
arrivé à moi ?
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