Cette micro-nouvelle a été publiée en
2012 dans l’anthologie « Fin(s) du Monde » (Éditions
des Artistes Fous). Elle est ici republiée sous licence CC0.
Ma fin du monde
Je me tiens au bord du précipice d’un
monde sur le point de s’écrouler… Les vagues s’écrasent sur
le récif, insensibles. Je me tiens là, assis les jambes dans le
vide ; les yeux posés sur un horizon qui n’a cessé de
s’assombrir. Et je m’interroge sur ce qui me retient encore en
haut de cette falaise. Sauter serait simple. Trop simple peut-être.
Ai-je encore suffisamment d’amour-propre pour résister à cette
solution de facilité ?
Ma fin du monde n’est pas brutale,
elle s’est installé lentement, insidieusement. Ce n’est pas un
raz-de-marée, c’est un cancer. Quoi qu’on peut soigner la
plupart des cancers. Ma fin du monde est bien plus inéluctable que
cela, mais je ne trouve pas de meilleure métaphore.
Le suicide serait le dernier geste de
courage des lâches ? Il faut croire que je resterai un pleutre.
Le vide a beau m’attirer, je ne peux pas lâcher ma prise ; je
ne le veux pas. Je n’ai pas une telle affinité pour la vie ;
c’est juste l’alternative qui ne me semble guère engageante.
Quand les premiers symptômes
apparurent, il était probablement déjà trop tard. Mes espoirs
étaient morts, alors apparut la première étape du deuil : le
déni. Il est évident que ça n’avait aucune raison d’arriver.
Pas à moi ! Pas à ce moment ! Même si ma vie était bien
morne, je tenais à ses petites routines ; ce status-quo qui
nous fait tenir dans l’espoir d’un lendemain meilleur – qui ne
peut survenir, un espoir doit rester un espoir ; il n’y a rien
de pire que d’avoir accompli tous ses rêves et se retrouver sans
ambition.
La seconde étape sur la route du deuil
est la colère. Évidemment, j’étais en colère ! On le
serait pour moins. J’ai tout cassé. Le nez de mon patron d’abord ;
mes relations sociales ensuite ; tous mes biens matériels
aussi… Ce fut bien inutile. Je me sentais aussi vide qu’auparavant.
La troisième étape est le
marchandage. Mais marchander quoi ? Et à qui ? Bien sûr
j’aurai voulu revenir en arrière, tout annuler… Ne serait-ce que
le mal que j’avais fait : mes proches ne méritaient pas cela.
Adresser des prières à une figure divine qui m’avait abandonné ?
À
quoi bon ?
La
dépression ! Le mot est lâché, c’est le quatrième stade.
Le point de non-retour. J’aurai dû m’en douter. Je m’en
doutai ; au moins au niveau subconscient. Alors que faire à ce
niveau ? Se bourrer de pilules ? Un prisme pour ne plus
voir la vérité en face… J’ai préféré affronter cette vérité.
C’est
ainsi qu’on en arrive au dernier stade du deuil :
l’acceptation. J’ai fini par accepter le deuil de ma vie et de
mes espoirs. Ma fin du
monde. C’est ce qui
m’a amené au bord de cette falaise : il fallait que j’accepte
la situation pour ce qu’elle était.
La
mer semble déchaînée. Agitée de cette furie qui m’a quitté.
Les vagues semblent vivantes. Autant de vies qui viennent se
fracasser sur la roche en contrebas. Je pourrais rejoindre ces
vagues ; ma vie aussi peut s’achever fracassée contre la
falaise. Mais je me voile la face ; j’ai déjà pris la
décision de rester à quai.
L’incertitude
de la vie plutôt que la certitude de la mort.
J’ai
perdu tout espoir, il me suffit d’en trouver un nouveau.
Mon
monde a pris fin,
Un
autre peut bien prendre la place vacante…
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